Gestion de conflits et leadership : Interview de Charlotte Girard-Fabre

Charlotte-Girard-Fabre

Bonjour Charlotte, peux-tu te présenter rapidement ?

interview-charlotte girard fabreJe suis Charlotte Girard-Fabre, arbitre internationale de hockey et arbitre nationale de handball. Au cours de ma carrière, j’ai eu le plaisir d’arbitrer les Jeux Olympiques de Sotchi (Russie) en 2014 et Pyeonchang (Corée du Sud) en 2018.

Le sport a toujours fait partie de ma vie. Petite, j’ai pratiqué le ski, la natation, le judo, le basket et l’escrime, mais j’ai dédié ma carrière sportive au handball et au hockey sur glace.

Aujourd’hui, je partage mon temps entre mon activité de consultante en entreprise et ma carrière d’arbitre de Handball. J’y partage mon expérience pour aborder les questions de prise de décision, de gestion des conflits ou encore de mixité.

Quand un conflit éclate sur le terrain, comment prendre des décisions justes rapidement ?

Plusieurs réponses sont possibles. Tout d’abord, il faut connaitre son règlement. Que ce soit dans le monde du travail ou dans le sport, il est toujours plus facile de se référer à un règlement qu’à son intuition. La décision sera plus facile à justifier et à faire accepter.

Ensuite, il est important d’adopter la bonne position. En tant qu’arbitre, je dois être au bon endroit au bon moment pour bien voir, afin d’être légitime dans ma prise de décision. C’est la même chose en entreprise : pour apaiser les problèmes, on se réfère à notre posture, à la légitimité obtenue par notre expérience. L’accumulation de bonnes décisions prises nous rend légitime. Mais il faut également savoir reconnaître ses erreurs et se remettre en question. En tant qu’arbitre, chaque décision et chaque action doit être passée au crible : nos propres décisions mais aussi le comportement des joueurs sur le terrain. C’est en accumulant toutes ces connaissances et en réajustant en permanence ses méthodes que l’on arrive à des résultats optimaux.

Il faut surtout savoir dissocier l’émotion de l’urgence. Lorsqu’on est face à une faute avec blessure sur un terrain de hockey, il faut réussir à prendre des décisions vite pour traiter l’urgence, sans être impacté par l’émotion de voir un joueur à terre. En entreprise, lorsque l’on fait face à un client difficile, il ne faut pas réagir sous le coup de l’émotion, même si c’est urgent. Savoir garder la tête froide, c’est là le vrai rôle du manager. Les collaborateurs peuvent être dans l’émotion, mais le leader est le garant de la politique de l’entreprise, de son portefeuille client. Il doit faire en sorte que l’émotion ne traverse pas l’équipe.

Pour bien manager, il n’y a pas de recette magique. Aucune journée, aucun match ne se ressemble. La seule chose à faire, c’est de maitriser ce qui est maitrisable, à savoir ses propres décisions et l’influence qu’elles vont avoir sur l’équipe. Le moral des équipes n’est pas contrôlable.

Etre arbitre, c’est parvenir à gérer deux équipes opposées vers un but commun. Comment parvient-on à assurer le succès d’un match ?

La gestion de conflits fait partie de l’activité d’arbitre. Deux équipes sont en opposition pour gagner le même match, tout comme le sont deux entreprises quand elles souhaitent remporter le même contrat. Il faut réussir à canaliser ces conflits à leur juste valeur : les faire éclater immédiatement pour apaiser tout le monde ou bien les apaiser pour arriver au terme du match.

Il y a toujours deux types de conflits :

  • Le conflit collectif, dans lequel toute l’équipe est dans la même dynamique. Ces conflits peuvent être canalisés plus facilement, en les accompagnant.
  • Le conflit individuel, entre deux personnes qui veulent en découdre personnellement et non dans un but collectif. Le rôle de l’arbitre est alors de gérer ce conflit rapidement pour apaiser l’ensemble du groupe, car ces conflits impactent toujours l’ambiance du match.

Dans les entreprises, il y a souvent ce deuxième type de conflit. Quand tout le monde est tourné vers le même objectif, des combats d’égo ou des rancœurs personnelles peuvent éclater. L’arbitre et le manager ont alors pour rôle d’observer et de déceler les éléments perturbateurs du groupe, ceux qui créent de la tension et une compétition malsaine entre les membres d’une équipe. Certaines périodes sont plus intensives que d’autres et les nerfs peuvent être plus à vif. Mais que ce soit pour gagner un marché ou une phase finale d’une compétition, la tension présente doit être créée par l’enjeu de la victoire et non pas par un élément perturbateur en interne.

L’arbitre ou le manager, c’est la personne par laquelle le dialogue doit passer, il est le seul maître de la communication lors d’un match. Il décharge les joueurs de la nécessité de communiquer pour se concentrer sur leur jeu.

L’arbitre n’est pas un médiateur sur le terrain : il doit savoir dire stop et ne cherche pas à faire consensus. Son rôle n’est pas de plaire aux joueurs, il est au service du jeu, tout comme le manager l’est à l’entreprise.

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Quelles sont les qualités de leader indispensables à avoir sur le terrain ?

Un leader est celui qui observe, qui sait s’adapter et qui fait preuve d’assertivité. Ces trois qualités sont indissociables. Il est nécessaire de bien observer pour prendre les bonnes décisions, dans le respect des règles, à la hauteur de la faute commise.

Etre arbitre, c’est l’art de savoir s’effacer. Le meilleur arbitre est celui qu’on ne voit pas : si l’arbitre est indispensable à la bonne tenue du match, il ne doit pas prendre la lumière. L’arbitre est au service du jeu. En entreprise, c’est la même chose. Le manager doit savoir s’effacer devant les compétences et la légitimité de ses collaborateurs.

En entreprise, le manager ne doit pas stigmatiser les erreurs. La performance a tendance à être vue lors de l’aboutissement d’un objectif final. Sauf que de nombreuses micro-corrections des process permettent d’optimiser cette performance. Les sportifs s’entrainent tous les jours pour tendre vers le geste parfait. L’erreur doit être prise comme un apprentissage du collaborateur, pas comme une défaillance de sa part.

Comment trouver sa place en tant que femme dans un milieu extrêmement masculin ?

charlotte girard fabre interviewEn tant que femme, je m’en suis toujours sortie par la légitimité de mes décisions. Quand nos décisions sont légitimes, il n’ y pas de questions de femmes ou d’hommes.

Je me suis également toujours appuyée sur ceux pour qui la question du genre n’était pas un problème. Dans une société où le sexisme est omniprésent, sous des formes ordinaires ou plus graves, il est important de ne pas rester seule.

S’enrichir du parcours d’autres femmes est nécessaire, mais on peut également s’appuyer sur des hommes alliés. Nombre d’entre eux sont acquis à la cause de la mixité, et ils sont facilement identifiables. Eux aussi souffrent du sexisme : il est plus difficile de sortir du rang lorsque l’on est un homme. Si on est féministe ou un peu efféminé, on est rapidement mis au banc. Tous ensemble, nous pouvons être les vecteurs d’idées progressistes.

Peux-tu nous partager une situation où tu as fait face à des actes sexistes ? Comment as-tu réussi à gérer cette situation ?

J’entends un jour un joueur dire à un autre « attend, on va se marrer ». Quelques minutes plus tard, ce même joueur me met une main aux fesses. Sous le choc, j’appelle mon collègue arbitre pour qu’il le sanctionne, mais celui-ci ne me soutient pas et le joueur n’est pas sanctionné. Je me tourne alors vers le coach du joueur, que je connaissais. Le coach a renvoyé son joueur sur le champ, même si c’était son meilleur buteur. Cet entraineur me connaissait, respectait ma carrière et ma position d’arbitre, il m’a prise au sérieux.

En entreprise aussi, j’ai su à des moments me tourner vers mes collègues masculins pour dire stop à des moments où me faisait des remarques déplacées.

Avant de terminer, quels conseils donnerais-tu à des managers confrontés à des conflits au sein de leurs équipes ?

Il faut surtout affronter les problèmes avec les personnes perturbatrices, en s’appuyant systématiquement sur les règles, les codes. Le rôle du leader est de ne pas esquiver lorsque des décisions doivent être prises, et ne pas chercher à faire consensus.

Un mot pour conclure ?

Sans partage, l’expérience ne vaut rien.